Départ de la terre salée
Émigration, surpêche et changements climatiques au Sénégal
Pour Lassana Sarr, parti en Espagne depuis huit ans, l’année 2017 marque le retour à son pays d’origine, le Sénégal. Son bref séjour à Dakar avant de rejoindre sa famille au village de Niodior (150 km au sud de la capitale africaine), lui a permis de constater que rien n'avait changé. Les raisons qui l'ont poussé au départ persistent, à savoir la raréfaction des produits halieutiques due à la surpêche et les changements climatiques. Ces réalités grandissantes sont les dangers d'aujourd'hui au Sénégal.
Les eaux Sénégalaises sont fortement exposées à la surpêche, entretenue par des navires battant pavillons étrangers qui opèrent souvent dans le cadre de sociétés mixtes, échappant à tout contrôle. Aux abois face à une situation qui semble les dépasser, les tenants de la pêche artisanale (80% des débarquements au Sénégal), tentent de survivre en utilisant des méthodes de pêche également prohibées (dynamites, filets en nylon, etc.)
Lors de l’expédition maritime « Espoir en Afrique de l’ouest », menée par l’organisation Greenpeace en février et mars 2017 dans les eaux de pays ouest africains, dont le Sénégal, onze bateaux pratiquant illégalement la pêche ont été saisis en seulement trois semaines de surveillance. Au total, treize infractions à la règlementation sur la pêche ont été constatées durant les deux mois de l’expédition maritime « Espoir en Afrique de l’ouest », qui comprenait également la surveillance des pêches, ainsi que des échanges avec la société civile et la classe politique des pays ouest africains.
Selon les résultats d’une étude menée par le projet Usaid Confish en 2016, le Sénégal perd 145 milliards de Fcfa (221 millions d’euros) chaque année à cause de la pêche illégale industrielle.
La pression sur les ressources a été si forte ces quinze dernières années que le Thiof (Mérou), débarqué à six mille tonnes par an au milieu des années 1990 sur le quai de pêche de Soumbédioune, l’un des plus importants de Dakar, a connu une baisse drastique avec des débarquements annuels qui atteignent rarement trois mille tonnes.
Au phénomène de surpêche qui affecte globalement les pays d’Afrique de l’ouest disposant des côtes les plus poissonneuses au monde, viennent s’ajouter une absence d’infrastructures adéquates et de politiques régionales concertées. Ajouté à ces facteurs l’effet dévastateur des changements climatiques, le secteur s’en trouve exposé à des risques certains.
Pour le peuple de pêcheur dont Lassana Sarr est issue, le phénomène de surpêche emprunte les contours d’un drame qui contraint la jeunesse à l’exil. Les changements climatiques font que des brèches entières se creusent sous l’effet de l’avancée de la mer. La mangrove qui sert de mur de protection aux différentes îles du Saloum (région centre du Sénégal abritant une vingtaine d’îles) dont Niodior fait partie, subit les assauts de l’avancée des eaux, exposant ses villages à une disparition certaine si rien n’est fait. Que dire alors de la salinisation des terres qui est venue à bout de plusieurs cultures de subsistance dont l’arachide, le mil, etc. Dès lors, quitter cette "terre de sel" est devenu pour les jeunes des villages une question de survie.
Lassana est depuis retourné en Espagne pour reprendre son activité dans un port Basque, comme d'autres il partage sa vie entre deux pays.
Photographies de Nicolas Leblanc / item
Textes d'Amadou Ndiaye