Anouck Everaere

 

Habitée par la photographie dès son plus jeune âge, Anouck Everaere grandit dans une ville nouvelle et saisit la mélancolie d’un quotidien vécu au sein d’un lotissement, entre une zone industrielle, la prison et des HLM.

Après les Beaux-arts à Montpellier, l’année 2016 à l’École de photographie et de l’image Bloo lui apporte une approche documentaire sensible.

Sa pratique découle d’une immersion sur le long terme, l’amenant régulièrement à aller à la rencontre de personnes considérées comme en marge ou sous-représentées dans nos sociétés. Faire le portrait de quelqu’un lui raconte des manières d’être au monde. Par le prisme du collectif, ses portraits racontent un hors champ politique et parfois violent.

Elle expose à Paris Zone mixte au consulat Voltaire, O, aux Rencontres de la jeune photographie internationale à Niort, Incarnées, dans le cadre du Festival International du Documentaire Émergent.


Son livre Contracepté qui questionne la contraception masculine est sorti aux éditions Corridor éléphant en 2023.

Depuis 2017, elle travaille à l’École Documentaire de Lussas où elle mène des ateliers de réalisation avec différents publics, en milieu scolaire, centre pénitentiaire, en EHPAD...

Elle réalise plusieurs résidences CLEA dans les Hauts-de-France en 2020 et 2023 et est actuellement en résidence avec la Cour des Arts à Tulle en Corrèze où elle développe un travail photographique autour des dernières dentellières du poinct de Tulle.

Depuis 2 ans, elle réalise son premier film documentaire sur une équipe de rugby féminine qu’elle a longtemps photographiée.


www.anouckiling.fr
www.instagram.com/anouckiling


Des visages et des corps

C’est une intimité créée pour une photographie, qui donne à voir une profondeur, quelque chose de très enfoui. C’est une histoire de sexualité, dans toute sa complexité, celle qui touche à notre condition humaine, à la fois limpide et silencieuse. C’est une pudeur, une distance entre modèle et photographe dans la lumière diffuse d’une chambre, entre fierté et timidité. C’est une mise en scène des intérieurs, une banalité du quotidien qui traduit la simplicité de l’acte. C’est l’histoire de corps, parfois sans visage, de textures de peau, de tatouages, d’attitudes marquées qui racontent les injonctions et les audaces d’une nouvelle masculinité dans laquelle je ne trouve que douceur et beauté.

Tout a débuté par une histoire d’amour.

C’est mon compagnon qui prend en charge la contraception dans notre couple, il porte un anneau contraceptif. Ce geste m’a libéré d’un poids, il a mis fin à plusieurs années de souffrances gynécologiques.

Ce petit objet est arrivé dans nos vies de manière naturelle et apaisée, rien à voir avec la pose d’un stérilet ou d’un implant. Au début, j’ai senti une gêne chez lui, un froncement de sourcil que je connais bien, une entrave dans son corps, un peu comme une adolescente trouve désagréable un premier soutien-gorge. Mais quelques jours plus tard la gêne avait disparu, il s’était habitué et la routine s’était mise en place.

La responsabilité de la contraception était devenue sienne et je devais lui accorder ma confiance.

Je n’en finissais pas de le questionner, même heureuse de ce changement, je ne comprenais pas pourquoi il l’avait fait. Il me répondait que c’était naturel et évident. J’étais insatisfaite de cette réponse, ce geste est évidemment politique. Si la contraception masculine était évidente, mon correcteur orthographique connaîtrait le mot contracepté au masculin.

https://slowcontraception.com/ https://entrelac.coop


Entremêlées - 2022/2023

J’accompagne les Ovalines d’Aubenas. Pour être plus précise, il s’agit d’un rassemblement Rod-Ovalines, Aubenas-Donzère, une alliance de territoire permettant de comptabiliser assez de joueuses pour former une équipe.

Je suis touchée par ce groupe de femmes qui se battent pour jouer. Si je parle de combat c’est parce que s’en est un à plusieurs niveaux ; Dans ce territoire dit rural, c’est le seul club féminin en sud Ardèche. Certaines font plus d’une heure de route pour venir jouer. Il est difficile de construire une équipe faute de membre, le terrain le plus dégradé est toujours réservé aux femmes et ne possède même pas de poteaux, uniquement des cages de foot. Les réflexions sexistes régulières des gérants de clubs voisins alimentent une défiance et une mise à l’écart des Ovalines.

Mais dans ce monde de femmes, de copines comme elles s’appellent, les injonctions disparaissent et le plaisir du jeu et d’être ensemble remplit tout.

La question de l’intimité s’est très vite posée, s’est même imposée tant j’en étais émue.
Le hors-champ prend alors de plus en plus de place, les matchs, les victoires, les défaites sont d’autant de motifs auxquels s’ajoutent les temps festifs, l’après entraînements, les temps plus calmes et plus doux.
Ces temps de connexions sont finalement les plus forts. Entremêlées c’est le mot qui rend intelligible ce lien entre elles, c’est aussi la représentation de ces temps hors de la compétition.
La série se déploie dans le temps, mon regard s’aiguise et je saisis toujours un peu plus le poids des stéréotypes, l’importance des entraînements, la nécessité de créer une cohésion. Des chapitres se dessinent et s’imbriquent tel des poupées Russes pour donner à voir ce petit monde de femmes, pour qui il est nécessaire de jouer.