Christian Rault

 

Après avoir étudié le droit à l’université de Rennes, où il a obtenu un DEA de droit européen, Christian Rault a occupé plusieurs postes dans l’administration des douanes. C’est à la faveur d’un stage qu’il a suivi auprès de Claudine Doury qu’il a pris conscience de la puissance narrative et de la valeur de témoignage de la photographie. Après s’être exercé en solitaire pendant une dizaine d’années, il a pris la décision de se professionnaliser et a intégré en octobre 2023 la formation de photojournalisme à l’EMI-CFD à Paris.

Fidèle à une pratique photographique documentaire, il réalise des reportages qui documentent la condition humaine et développe des récits de vie dans lesquels toute idée de démonstration et de jugement est absente. Plusieurs de ses travaux traitent également de la question de la résilience. Il s’est ainsi intéressé à des jeunes qui vivent dans un squat illégal et à une communauté Rom qui lutte quotidiennement pour sa survie (L’ombre va là où veut le soleil).

L’intérêt qu’il accorde aux gens l’amène à questionner, non sans une certaine pudeur, la représentation de l’intime. A travers l’exemple de ses parents (Point d’Orgue), il porte un regard sensible et empathique sur la vieillesse et la fin de vie.

Dans son dernier projet (Danuta), initié dans le cadre d’un workshop animé par Jérémy Suyker, il synthétise les recherches qu’il mène autour des notions de fragilité, de lutte et de résilience. Âgée de 85 ans, Danuta s’oppose avec force à la Société du Grand Paris qui a engagé une procédure visant à l’expulser de son logement.

Sélectionnés pour le prix Caritas 2022 (L’ombre va là où veut le soleil) et projetés aux Nuits Photographiques de Pierrevert en 2023 (Point d’orgue), ses deux principaux travaux au long cours sont accessibles sur son compte Instagram @chrault22.


DANUTA

Danuta Tarnawska est une résistante. Cela fait près de cinq ans qu’elle se bat contre la Société du Grand Paris et contre l’avenir que celle-ci lui destine.

Le pavillon qu’elle occupe à Bondy depuis 23 ans fait partie du périmètre du chantier de la future gare qui accueillera d’ici 2030 la ligne 15 du métro. Plus précisément, il est prévu que le terrain accueille une centrale à béton et serve à stocker une partie des déblais résultant des travaux.

En dépit de son âge (84 ans), elle refuse de quitter sa maison et de la confier aux démolisseurs. Elle décline ainsi toute offre de négociation, saisissant le tribunal administratif afin de contester la légalité de l’acte d’expropriation.

Son obstination, qu’une partie de sa famille juge déraisonnable, ne tient pas seulement au montant de la compensation financière qui lui est proposée et qu’elle juge insuffisante. Elle ne peut surtout se résoudre à quitter un lieu où elle a accumulé tant de souvenirs. Qu’adviendrait-il des innombrables objets auxquels elle est si attachée, elle qui répugne à se séparer de toutes les petites choses qui
ont compté pour elle ?

Non ! Danuta ne peut se faire à l’idée de devoir quitter son nid douillet, ne désirant qu’une seule chose : finir sa vie dans son petit pavillon de banlieue.


L'ombre va là où veut le soleil *

J'ai fait la connaissance en 2012 à Arles d'une communauté rom composée de plusieurs familles originaires d'un village situé au nord ouest de Bucarest.

Fuyant la misère au début des années 2010, ces personnes ont trouvé des hébergements de fortune, le plus souvent provisoires, dans des maisons délabrées, des entrepôts désaffectés, les bâtiments d'une ancienne papeterie puis sur un terrain de sport. Immédiatement séduit par l'énergie, la liberté et la dignité de ces gens, j'ai décidé de prolonger cette rencontre par des visites que je leur ai ensuite rendues régulièrement. Et cela dure encore aujourd'hui.

J'ai pu observer leur lente insertion dans le tissu arlésien. Vivant d'abord de la mendicité et de la récupération de métaux, je les ai vus se familiariser avec la langue française, se diriger vers le monde du travail, inscrire leurs enfants dans les écoles et obtenir, non sans difficulté,
des logements sociaux.

Bien qu'ils se soient dispersés dans les différents quartiers de la ville, ils gardent intacts leur esprit de solidarité et le plaisir de se retrouver. Ils retournent ainsi, autant qu'ils le peuvent, sur leur ancien campement où quelques familles en attente de logement sont restées. C'est dans ce lieu, où j'étais sûr de pouvoir les retrouver, que j'ai centré mon travail photographique.

Mon but n’était pas tant de montrer leur pauvreté que de saisir la beauté et les moments de grâce qui m'étaient donnés à voir. Ce faisant, le regard que je portais sur cette communauté s’est transformé. D'abord empreint d'une certaine méfiance, il a progressivement évolué vers un grand respect et la fierté d'avoir été, malgré nos grandes différences, accepté par elle.

* proverbe rom


LE CURÉ DE SAINT-POL

Jean-Marie Atmaere est un homme de foi. Cette foi, il l’a embrassée il y a une quarantaine d’années lorsque, après avoir été chef cuisinier pendant cinq ans, il a pris la décision d’être prêtre et d’entrer au séminaire.

Depuis cette date, il s’est vu confier tous les 7 à 10 ans le soin d’animer le culte catholique dans une nouvelle paroisse, toutes les affectations qu’il a reçues depuis 1985, date de son ordination, se situant dans le diocèse de Lille. Depuis septembre 2022, il est le curé de la paroisse de Saint-Pol sur Mer / Grande Scynthe près de Dunkerque. La passion qui l’anime dans l’exercice de son sacerdoce est demeurée intacte.

Le Père Atmaere mène une existence simple. S’il ne portait quotidiennement sur sa poitrine une modeste croix en bois, rien ne permettrait de le distinguer du commun des mortels. Il arbore une veste de rugbyman (sport qu’il pratiquait lorsqu’il était jeune), collectionne les verres à bière et passe beaucoup de temps avec son petit chien Dudule.

Cette apparence ordinaire ne saurait toutefois dissimuler la richesse et la profondeur de sa vie spirituelle. Il entend promouvoir un modèle d’Église ouverte au dialogue avec les autres religions et sensible aux problématiques contemporaines. Il se dit proche des papes Jean-Paul II et François. Cette tolérance ne l’empêche pas d’être ferme sur les principes chrétiens et d’afficher, où qu’il se trouve, dans une église ou dans son presbytère, la même ferveur dans sa pratique religieuse.


Point d’orgue

Second fils de deux parents qui se sont unis au début des années 1970, j'ai grandi au sein d'une famille qui était alors semblable à beaucoup d'autres. Un père, absorbé par son métier de clerc de notaire et qui subvenait seul aux ressources du foyer. Une mère, réputée "sans profession", qui était en charge des tâches domestiques et veillait à l'éducation de ses deux enfants.

J'ai vécu les dix-huit premières années de ma vie auprès de ces deux êtres que tant de choses opposaient et qui, à mes yeux, semblaient
évoluer dans des réalités parallèles. Cette mécanique bien huilée s'interrompit brutalement lorsque mon père prit sa retraite et que mes parents se retrouvèrent dès lors face à face.

Abordant, non sans une certaine appréhension, cette nouvelle étape de leur existence, ils réinventèrent une relation de couple qu'aucune contrainte professionnelle ou parentale ne vint plus perturber durant les trente années qui suivirent. Ils partagèrent de nombreuses activités (préparation des repas, voyages, promenades, réceptions entre amis, jardinage, jeux) qui ne cessèrent de les rapprocher et au cours desquelles ils prirent un immense plaisir.

Au fil des années et les problèmes de santé se multipliant, ils devinrent encore plus soudés et se vouèrent un soutien indéfectible. Nombreux étaient les témoins à s'étonner du caractère fusionnel de ce couple vieux de plus de cinquante ans.

C'est tout à la fois leur émouvante complicité et leur vulnérabilité croissante (ma mère souffrant de la maladie d'Alzheimer et mon père se déplaçant avec difficulté) que j'ai tenté de saisir, à chaque fois que je leur rendais visite, au cours des ultimes années de leur vie commune.