Les villes façonnées par l'apartheid révèlent des contradictions spatiales uniques, profondément enracinées dans l'histoire de l'Afrique du Sud. D'un côté, ces métropoles s'étendent à perte de vue, avec une densité de population insuffisante pour soutenir des réseaux de transports publics viables, favorisant ainsi l'étalement urbain et la dépendance à la voiture. De l'autre, les townships et bidonvilles en périphérie abritent une population densément concentrée. À l’époque de l'apartheid, ces zones étaient intentionnellement isolées par des autoroutes et des lignes ferroviaires, fonctionnant comme des douves médiévales, mais pour cette fois protéger le centre ville des périphéries. Cette marginalisation orchestrée a souvent perduré, parfois involontairement, dans l'ère post-apartheid. Ses conséquences sont encore visibles aujourd'hui, notamment à Johannesburg.
Un grand nombre de résidents pauvres de Johannesburg vivent à la périphérie de la ville, là où les infrastructures et les opportunités d’emploi sont rares. Ils deviennent alors captifs de trajets à pied, souvent dangereux, ou de transports publics coûteux et peu fiables. Le fossé est frappant lorsque l'on compare la part modale des transports publics : 55 % à Hong Kong, 34 % à Londres, et seulement 4 % à Johannesburg (Source : Urban Mobility Index 2.0, Geosemantic analysis). Le coût des déplacements pèse lourdement sur l’économie des ménages les plus précaires : beaucoup consacrent plus de 10 % de leur revenu à leurs trajets quotidiens.
La criminalité dans les transports, la violence entre taxis, et les accidents sont une réalité quotidienne, en particulier dans les minibus, qui comblent les vides du système de transport officiel. Ces véhicules, opérés par des entreprises privées, fonctionnent souvent comme des mafias, se disputant des territoires et échappant largement à la régulation. Les accidents et actes de délinquance sont fréquents. Une enquête de l'Institut sud-africain des relations interraciales a révélé que 52 % des sondés avaient assisté à un accident dû à un chauffeur de taxi, 47 % avaient payé des pots-de-vin pour éviter une amende, et 44 % avaient vu des chauffeurs sans permis de conduire.
Dans ce contexte, posséder sa propre voiture devient un symbole de liberté, bien que ce luxe reste inaccessible pour la plupart.
« Dark Side of Joburg » est une exploration de cette réalité, une immersion dans les flux de mobilité de la ville. En parcourant les différents nœuds de transport public, en prenant taxis et voitures privées, et en marchant lorsque cela était possible, j'ai capturé les contrastes saisissants de cette mégapole.
Hugo Ribes
Série réalisée avec le soutien de l’institut Français dans le cadre d’une résidence collective du collectif item.