La montagne effondrée

Dans la nuit du 20 au 21 juin 2024, une crue torrentielle dévaste le hameau de La Bérarde, dans le massif des Écrins. Cet épisode n'est pas un simple fait divers météorologique ; il remet en question, dans le contexte du changement climatique, notre capacité à habiter la montagne.

Les grandes lignes du phénomène sont rapidement identifiées : conjoncture de fortes pluies, d'un terrain déjà gorgé d'eau par un printemps particulièrement humide, de la fonte importante du manteau neigeux en altitude, et de la vidange d'un lac glaciaire en amont du village. L'eau ruisselle et entraîne avec elle des centaines de milliers de mètres cubes de roches des moraines instables. Certaines parties du hameau sont submergées sous une dizaine de mètres de débris, et les dégâts s'étalent sur plusieurs dizaines de kilomètres dans la vallée.

Par endroits, la crue recouvre des terrains qui n'avaient pas été inondés depuis dix mille ans. Dans le domaine de la prévention des risques naturels, qui se base sur les traces de phénomènes passés pour déterminer les zones constructibles, ces terrains n'étaient pas particulièrement exposés.

Mais le réchauffement climatique, en modifiant les conditions environnementales, change les règles et expose les limites des modèles actuels. Pour la première fois en France, la question se pose de savoir si La Bérarde était un événement hors-normes où s'il faut réévaluer les critères d'exposition aux risques naturels dans toutes les Alpes, pour éviter une catastrophe à venir. Faute de réponse claire et dans l'attente d'une estimation des coûts de reconstruction, l'avenir du hameau est en suspens.

Depuis la catastrophe, la route est interdite d'accès sur presque trente kilomètres. Si les locaux ont le droit d'y circuler, Saint-Christophe en Oisans, chef-lieu situé en aval de La Bérarde, est coupé de sa clientèle touristique estivale. Pendant presque deux mois, la vallée du Vénéon vit hors du monde. Suspendue à la possibilité d'un retour à la normale.

À la survie économique de la vallée s'ajoute une dimension identitaire et culturelle. La Bérarde est l'un des plus hauts-lieux de l'alpinisme, où ont été écrites de grandes pages de son histoire. Alors que la haute-montagne est profondément impactée par le réchauffement climatique depuis plusieurs décennies, la destruction de l'un de ses berceaux sonne comme un signal d'alarme symbolique.